ITINÉRARI URBAIN JOSEFA TOLRÀ

 

JOSEFA TOLRÀ, MÉDIUM ET ARTISTE. CABRILS 1880-1959 (emplacement)

L’artiste et médium Josefa Torlà i Abril naît le 6 janvier 1880, au numéro 9 de la rue de Sant Salvador. Fille de Vicenç Tolrà i Bergay et de Maria Amat i Abril, elle est l’aînée d’une fratrie de trois enfants avec Antoni et Salvi, ses cadets de six et neuf ans respectivement. Les grands-parents maternels, Salvi et Josefa, font aussi partie du foyer familial.

L’enfance de celle que l’on surnomme Pepeta à la maison, ressemble à celle de nombreuses filles de son époque, rythmée par les tâches familiales et l’apprentissage des corvées domestiques. Elle accompagne sa mère au lavoir du torrent Roig ou aller remplir la cruche d’eau à la fontaine Sagrera, bien avant que l’eau courante ne soit disponible dans les foyers.

Ces tâches domestiques font alors partie de l’éducation traditionnelle des filles, centrée sur les rôles genrés. Le jeu existe déjà, bien sûr, mais il n’a pas alors le sens actuel: la plupart des fillettes n’ont guère accès à des moments de détente, et leur univers social se limite à la famille et à la communauté religieuse.

À l’âge de cinq ans, en 1885, ses parents l’inscrivent à l’école des sœurs dominicaines de l’Annonciation, où elle reçoit les bases de son instruction.

Son père travaille comme fermier, mais avec la construction de l’usine textile de monsieur Coll, en 1869, et qui ouvre ses portes à de nombreuses familles du village, il va, avec d’autres, saisir l’opportunité d’un travail stable. La famille peut également œuvrer pour contribuer aux revenus du foyer. À la naissance de Josefa, ses parents y travaillent déjà et lorsqu’elle est, elle-même en âge, elle les rejoindra aux côtés de sa mère.

Retour en haut


L'ÉCOLE (emplacement)

En 1883, les écoles des sœurs dominicaines de l’Annonciation ouvrent leurs portes, grâce au mécénat de la bienfaitrice Emília Carles Tolrà (Cabrils, 1848 – 1915), animée par le désir de rendre l’instruction accessible à toutes les filles.

Josefa commence sa scolarité le 19 janvier 1885, alors qu’elle n’a que cinq ans. Elle y restera jusqu’au 19 mai 1891, date à laquelle elle termine ce que l’on appelait alors « l’école obligatoire », à l’âge de onze ans. Son enfance est marquée par l’éducation qu’elle reçoit à l’école des Sœurs Dominicaines, « les Nonnes », et à la maison, c’est dans ce cadre qu’elle reçoit les valeurs et savoirs qui marqueront sa personnalité tout au long de son existence. Bien qu’elle fut brève, sa scolarité lui permet néanmoins d’apprendre à lire, à écrire, à compter, elle reçoit en outre le catéchisme chrétien et l’enseignement moral, la grammaire espagnole, elle apprend à coudre et à broder.

Josefa Tolrà ne recevra jamais de formation dans le domaine des beaux-arts. Pourtant, lors de ses transes médiumniques, elle rédige en catalan et en espagnol une œuvre d’une richesse exceptionnelle. Elle compose des poèmes, des recettes de guérison, des textes en prose, ainsi que des réflexions sur la science, la religion, la géologie ou la géographie. Elle écrit aussi sur des figures historiques et artistiques comme Léonard de Vinci ou Rembrandt, ou encore sur l’abbé Jacint Verdaguer et son village natal de Cabrils. Une connaissance étonnante, qu’elle attribue à ces « êtres de lumière » dont elle dira qu’ils l’ont guidée et inspirée tout au long de sa vie, jusqu’à sa mort.

Retour en haut


LE TRAVAIL À L'USINE (emplacement)

Au XIXe siècle et au début du XXe, il est courant que les filles rejoignent les usines textiles dès la fin de leur scolarité, souvent très brève. C’est presque une évidence, surtout lorsque leur mère y travaille déjà. C’est exactement ce que vit Josefa Tolrà.

En 1883, l’arrivée du phylloxéra dans la région du Maresme produit des changements qui vont modifier à jamais le paysage local. Ce point est important, car même s’il existait déjà une petite industrie très artisanale, essentiellement des petits ateliers textiles installés dans certaines maisons, c’est la construction de deux bâtiments industriels au cours de la seconde moitié du XIXe siècle qui va permettre à de nombreuses familles de pouvoir travailler et d’atténuer ainsi les effets de la crise agricole.

Dans ce contexte, on peut aisément imaginer une enfant comme Josefa Tolrà, plongée dans cet univers industriel. Des heures interminables au milieu du bruit et de la poussière. Son salaire, bien que modeste, représente un soutien précieux pour la famille. Comme tant d’autres jeunes filles, ses mains fines et adroites elle peut récupérer les chutes de coton, elle peut s’accroupir sous les machines pour aller nouer les fils rompus et défaire les nœuds. Elle ne quittera l’usine qu’au moment de son mariage, pour se consacrer à l’éducation de ses trois enfants.

C’est à l’âge de soixante ans, brisée par la perte de deux de ses enfants, que Josefa parvient à transformer cette douleur en une source de création. Elle se met alors à dessiner, écrire, broder et illustrer de nombreux cahiers, des œuvres qu’elle réalise portée par sa médiumnité. Les motifs délicats, les dentelles et les filigranes de ses broderies n’ont ni endroit ni envers. Ils sont d’une délicatesse exquise.

Chaque point est le résultat des instructions qu’elle reçoit de ses guides bienfaiteurs. Elle les transpose sur la toile, et parfois exclame: « Regardez ce qu’ils me font faire! ».

Retour en haut


IL NE PEUT Y AVOIR DE PAIX LÀ OÙ L'HARMONIE N'EST PAS COMPRISE (Josefa Tolrà) (emplacement)

C’est dans cette église paroissiale de la Santa Creu, que le 23 décembre 1900, le recteur Josep Massaveu Rovira unit en mariage, Josefa Tolrà Abril et Jaume Lladó Vives. Jaume a 24 ans, il est agriculteur. Josefa a 20 ans et travaille à l'usine de M. Coll depuis des années. Dans cette même église, ils baptisent également leurs trois enfants, Joan, Maria et Pere.

Josefa est une chrétienne fervente, profondément religieuse et charitable, qui suit les préceptes des messagers de bonne volonté et du divin maître Jésus. Guérisseuse, elle accueille voisins et étrangers en quête de réconfort et d'aide. Elle pratique l'imposition des mains, au nom du bon Jésus, pour guérir les maux de l'âme qui abîment le corps.

Ses écrits et dessins font souvent référence à sa spiritualité. On y trouve de nombreuses allégories de thèmes et de scènes religieuses de la Bible, comme Adam et Ève, la Cène, la Vierge Marie, Jésus avec les apôtres, l'Épiphanie ou Noël. Parfois, des messages sont transmis et canalisés par les esprits du Père Cinto Verdaguer et de Thérèse de Jésus.

Retour en haut


LE FAMILLIE LLADÓ-TOLRÀ (emplacement)

C’est dans la maison familiale de Can Bergay que Josefa Tolrà i Abril, vit la majeure partie de sa vie. À l’aube du XXe siècle, elle fait la connaissance de Jaume Lladó i Vives (Cabrils, 1877 – 1955), qu’elle épouse le 23 décembre 1900. Jaume est paysan; il cultive une parcelle de terre louée à Salvador Armengol, située dans la vallée de Cabrils. Josefa, quant à elle, travaille toujours à l’usine textile de monsieur Coll. Peu de temps après leur mariage, le couple accueille leur premier enfant, Joan. En 1905 c’est au tour de Maria, puis vint Pere en 1910. Avec trois enfants à la maison, Josefa cesse de travailler pour se consacrer à leur éducation et à la gestion du foyer.

Tout va bien, jusqu'à ce que Pere décède prématurément, avant d'atteindre ses quinze ans. Après ce chagrin insupportable, en 1938, un nouveau malheur s'abat sur les Lladó-Tolrà. Joan, l’aîné, est mobilisé à l’âge de 36 ans. Il ne reviendra jamais. Ces deux pertes brisent Josefa. Elles la plongent dans une douleur profonde, mais ouvrent aussi une brèche dans sa perception du monde. Peu à peu, elle commence à percevoir des visages, à entendre des voix qui lui font peur.

C’est grâce à un parent très proche, Jordi Galbany i Planas, poète et spirite, qu’elle apprend, d’une part, à gérer la profonde mélancolie dans laquelle elle est plongée, et d’autre part, à accepter sa propre médiumnité. Elle a alors soixante ans. Assise à la table de la salle à manger, cahier et stylo à la main, elle entre dans un état de transe particulier, puis elle commence à tracer d’abord des signes mystérieux, qui se métamorphosent peu à peu en textes et en dessins.

Intrigué, le sculpteur Moisès Villèlia vient la rencontrer, sur les conseils de l’écrivaine Dolors Orriols. Après lui, se succéderont ses collègues du Club 49 et de Dau al Set. Elle commence à recevoir de nombreuses visites de la part d’artistes, mais également de gens du village et des environs, motivés notamment par ses capacités de guérisseuse.

Après la mort de son époux, le 9 octobre 1955, Josefa se retrouve seule avec sa fille. Pour éviter qu’elle ne passe trop de temps seule pendant que Maria travaille à l’usine, Jordi Galbany les accueille toutes deux chez lui, à Ca l’Arlot.

Retour en haut


CA L’ARLOT, ESPACE DE CRÉATION ET DE SPIRITUALITÉ. (emplacement)

Certaines maisons semblent respirer, retenir dans leurs murs un souffle invisible, une sensation de bien-être. Ca l’Arlot est de celles-là. Ce n’est pas une maison ordinaire, c’est un lieu de création.

C’est dans cette demeure que voient le jour Jordi Galbany i Planas (1912 - 2005), poète et spirite, ainsi que ses deux fils, dont l’un est le compositeur de sardanes, Sigfrid Galbany i Abril (1936 - 2024). C’est aussi là que Josefa Tolrà i Abril, artiste et médium, passera les dernières années de sa vie. Sa fille Maria, restée célibataire, est toujours à ses côtés. Ca l’Arlot devient un lieu où la frontière entre le visible et l’invisible semble s’effacer.

Elle y reçoit les visites des artistes comme Moisès Villèlia et Magda Bolumar, qui s’étaient installés à Can Rin (Cabrils) dans les années cinquante. Ils parlent d’elle à leurs amis du cercle culturel Club 49 et du groupe artistique Dau al Set. Le poète Joan Brossa et le critique Alexandre Cirici-Pellicer, tous deux membres de ces milieux, en ressortent émerveillés. Les visites s’enchaînent. Ils échangent avec l’artiste et médium, qui, en état de transe, se met à parler de sciences, d’histoire ou de philosophie.

Josefa manifeste sa médiumnité à travers le dessin, l’écriture et la broderie. Elle reçoit ceux qui viennent la consulter, pour des conseils ou des soins. Elle agit comme un pont entre « ceux d’en haut » et ceux qui vivent ici-bas, et perçoit l’aura de chacun. Son œuvre ne lui appartient pas ; elle ne peut être ni achetée ni vendue. Elle se présente comme un antidote à l’ordre rationnel, une réponse à la douleur existentielle. Elle est le fruit d’une transmission extrasensorielle venue de l’au-delà. La force fluidique guide sa main lorsqu’elle dessine ou brode. Elle n’offre ses œuvres que lorsqu’elle estime que la personne en est digne.

Retour en haut


ELLE FERMA LES YEUX UN INSTANT, POUR NE PLUS JAMAIS LES OUVRIR (emplacement)

C’est dans ce cimetière, au tombeau numéro 138, sur la place Sant Matheu, que Josefa Tolrà i Abril repose en paix. C’est la médium et artiste, qui a le mieux incarné l’art visionnaire dans la péninsule ibérique durant la première moitié du XXe siècle.

Son parcours personnel est étroitement lié à sa médiumnité et à sa clairvoyance, des facultés qui se sont révélées après la mort de son deuxième fils, durant la Guerre Civile Espagnole. Son corps n’est jamais revenu. À l’approche de la soixantaine, le chagrin causé par le deuil de ses deux enfants la plonge dans une profonde dépression. La découverte et la pratique du spiritisme et de la théosophie, à travers les enseignements d’un de ses proches, Jordi Galbany, lui ouvre alors l’accès à une forme de transcendance, porteuse d’un pouvoir de guérison. Elle confiait souvent à ses proches : « Ce n’est que lorsque je dessine que je me sens en paix. »

Le 15 octobre 1959, Josefa s’éteint, assise sur son fauteuil à bascule, un verre de café au lait dans une main, une petite cuillère dans l’autre. C’est Jordi Galbany, celui qui l’avait accompagnée sur le chemin de la médiumnité après la perte de son fils, qui la retrouve ainsi, comme endormie, le visage apaisé. Elle est alors devenue, à son tour, l’un de ces êtres de lumière qu’elle avait tant aimés.

Retour en haut



BIBLIOGRAPHIE

L'essentiel

  • BONET JULVE, Pilar. Josefa Tolrà, Mèdium y artista. Barcelona: Associació Josefa Tolrà, 2022. Segona edició (català-español-english)
  • BONET JULVE, Pilart. La Mèdium i el Poeta. Una conversa astral entre Josefa Tolrà i Joan Brossa. Barcelona: Ajuntament de Barcelona-Fundació Joan Brossa, 2020. (català-español-english)
  • BONET JULVE, Pilar. La Mano Guiada. Josefa Tolrà - Madge Gill. Barcelona: Museu Nacional de Catalunya, MNAC, 2023 (edició en català, castellà o anglès)

Références contextuelles

  • CIRLOT, Lourdes Cirlot i MANONELLES Laia (coords.) Las vanguardias artísticas a la luz del esoterismo y la espiritualidad. Barcelona: Universitat de Barcelona, 2014.
    • (BONET JULVE, Pilar, “El pensamiento lateral del arte contemporáneo: Josefa Tolrà, médium y artista (1880-1959)”, pp.57-77)
  • RIVERA, Mapi. El Sentido Numinoso de la Luz. Aproximaciones entre creación y experiencia visionaria. Barcelona: Herder, 2018.
  • MARÍN, Dolors. Espiritistes i lliurepensadores: dones pioneres en la lluita pels drets civils. Barcelona: Angle, 2018. 
  • ABARCA, Antonio, BUIL, Antonio Buil. Julia Aguilar, Always (1899-1979). Rebelde y Artista. Barbastro, 2014. 
  • GRAUS FERRER, Andrea. Ciencia y Espiritismo en España (1880-1930). Granada: Comares, 2019.
  • AA.VV. Art i follia. Joan Obiols Vié, psiquiatre i humanista. Barcelona: Ajuntament de Barcelona-Fundació Joan Brossa, 2019.
    • (BONET JULVE, Pilar, “Joan Obiols i el Club 49. De la poesia escènica de Joan Brossa a les imatges mediúmniques de Josefa Tolrà”, pp.80-92)
  • GONZÁLEZ, Maria José, RIUS GATELL, Rosa. Remedios Varo. Caminos del conocimiento, la creación y el exilio. Granada: Eutelequia, 2013. 
  • GARCÍA, Graciela. La Pulsión Creativa al Desnudo. Vitoria-Gasteiz: Sans Soleil Ediciones, 2019. 
  • LÓPEZ ARNAIZ, Irene, LÓPEZ, Raquel (eds.). Coreografiar lo invisible. Danza, arte y esoterismo en los albores del siglo XX. Vitoria-Gasteiz: Sans Soleil Ediciones, 2023.
    • (BONET JULVE, Pilar, “Esoterismo y feminismo. Hilma af Klint y la danza de los planetas”, pp.131-156).
  • MARÍN, Dolors. Visionarias, librepensadors y espiritistas. Mujeres pioneras de las luchas sociales (1830-1931). Editorial Almuzara, 2025.

Références à l'artiste Josefa Tolrà, images, textes, catalogues et dictionnaires

  • ¿La guerra ha terminado? Arte en un mundo dividido (1945-1968). Madrid: Museo Nacional Centro de Arte Reina Sofía (MNCARS), 2010
  • Le Cahier Dessiné. Paris: Halle Saint Pierre, 2015
  • ROMA, Valentín, LAHUERTA Juan José, SERRA, Pepe. Del Segon Orígen. Arts a Catalunya 1950-1977. Barcelona: Museu Nacional d'Art de Catalunya (MNAC), 2015
  • MARTÍNEZ, Rosa. Nada temas, dice ella. Valladolid: Museo Nacional de Escultura, 2016
  • Art i Cultura de Postguerra. Barcelona 1939-1962. Barcelona: Ajuntament de Barcelona-Àmbit, 2018
  • SOLER, Pilar, GAETA, Antonio. El Ojo Eléctrico. Madrid: La Casa Encendida, 2019.
    • (BONET JULVE, Pilar. “Las estrellas bajan a la tierra”, pp. 53-91)
  • ALEMANI, Cecilia. Il Latte dei Sogni. Venecia: Biennale Arte Venezia, 2022
  • MITRANI, Àlex. Quina humanitat? La figura humana després de la guerra (1940-1966). Barcelona: Museu Nacional de Catalunya, MNAC, 2023.
  • Ellas. Diccionario de mujeres artistas hasta 1900. Vol.1 Madrid: EXIT Publicaciones, 2022.
  • NORANDI, Elina. Cent dues artistes. Arts Visuals A cura d’Elina Norandi. Barcelona: Univers, 2022.
  • Art Brut. Dans l’intimité d’une collection. La donation Decharme au centre Pompidou. Grand Palais, Paris, 2025. Editions de la RMN-GP.
  • Publication gratuite:  Bric-à-Brac & Visionyary Women Art.
  • BONET JULVE, Pilar, GÓNZALEZ, Maria José. Cosmología esotèrica. Arte, ciència, espiritualidad y utopia de mujeres visionarias. Sans Soleil Ediciones, 2024. Madrid. 

Retour en haut

Darrera actualització: 10.10.2025 | 12:08